Les sculptures de Jean-Louis Ricaud, exposées à la galerie d’Art de Bendor ne laissent guère insensibles.
La sculpture contemporaine peut surprendre, irritée, voire inspiré le dégoût ou son contraire l’admiration, mais il est difficile sinon insurmontable d’y être insensibles. Les visiteurs de la galerie d’Art de Bendor en font l’expérience visuelle à travers les sculptures en acier, bois, céramique, cuivre, cuir, ardoise de Jean-Louis Ricaud qui expose jusqu’au 1er mai.
Jean-Louis Ricaud déverse la nudité des corps sur des constructions formées de rouages, d’arbre de canne, de transmissions, de poulies, de leviers moteurs d’une plastique évidente et qui rappelle quelque part les étranges machines de Tinguely ne leur manquerait le mouvement.
Ces assemblages de ferrailles, de mécaniques, qui nous fait penser au monde décrit par Charlie Chaplin dans « Les Temps Modernes », servent de cadre, de décor à des sculptures, torses mi-humains, mi-fantasmagoriques.
Dans ce monde d’acier, de métal, les corps en céramique, tordus, tendus comme les cordes d’un arc nous apparaissent fragiles et prêts à rompre.
L’acier peint en noir enferme ces corps dans un univers de mort, de solitude d’où, pour tenter de s’en échapper, ils se tournent vers le plaisir.
Plaisir sensuel solitaire dans « La Cage d’Onan » (personnage biblique) ou plaisir de la contemplation dans « Homo Deus », plaisir du vide, recherche de l’éternité dans « Celui qui va mourir » te salue ; véritable gladiateur des guerres galactiques, mi-homme, mi-robot avec sa tête en céramique où l’âme se réfugie, son torse en bois et le reste en acier et en cuivre.
Dans un monde déshumanisé, il ne reste dans la vie de l’homme, de la femme qu’une seule chose : l’amour. C’est le cri que nous lance Jean-Louis Ricaud avec son « grand vertige mnémonique » ou ses « galériennes » ou encore « intra ligna corpus ».
Cet amour est traité avec dérision jusqu’à provoquer chez le visiteur des nausées érotiques. Tout au long de la visite on s’aperçoit que Ricaud et sa sculpture déploie une gamme de formes humaines dont l’élégance et la fragilité, la lumière et les suggestions qu’elles entraînent sont attisés par la froideur des formes et des matériaux qui les encerclent.
Beaucoup de gens iront en Cadillacais ce week-end, pour le remarquable carnaval théâtral qui s’y déroulera.
L’occasion de pousser une pointe jusqu’à la citadelle de Rions pour s’imprégner des étranges sensations que seul Jean-Louis Ricaud laisse faire passer à travers son œuvre.
Je l’avoue humblement, il m’a fallu des semaines pour écrire ces quelques lignes insatisfaisantes tant la démarche de Ricaud est pointue, alchimique, magique. Bref indicible et difficilement descriptible.
Ecœuré par Bordeaux, cet artiste indomptable, s’est rendu maître d’une des tours de la Citadelle. Un lieu médiéval particulièrement adapté à son œuvre.
Ses Christs crucifiés en immenses toiles vernissées à la Botticelli, tout comme la plupart de ses personnages peints ou sculptés sont crochus, cornus, tourmentés, coincés dans une phase temporelle entre incarcération et libération. A l’image de son travail. Ricaud travaille tout, la couleur, les matières, la lumière, le vide et surtout le positionnement dans l’espace, ce fameux point entre déséquilibre et équilibre. Verticalité et horizontalité sans cesse transcendés par une tangente invisible, un mouvement suggéré.
Du Baiser au Gisant
Puis soudain l’on s’arrête sur une œuvre qui ne ressemble guère aux autres : le Baiser de Beyrouth. Les lignes de ce couple sont adoucies, ses personnages plus tendres. « Ce Baiser date du 17 octobre 1585, explique Jean-Louis Ricaud. Il symbolise pour moi la réconciliation entre arabes et chrétiens lorsque les croisés ont quitté Beyrouth ».
En se penchant sur les croisades, il a découvert le personnage de Guillaume d’Orange. D’où sa dernière œuvre, le Gisant, qui emplit tout le premier étage d’une atmosphère pacifique et templière. « C’est un grand tournant dans mon travail. Il est calme et serein par rapport aux autres pièces. Il montre que la mort n’est pas grave ».
Ricaud l’inclassifiable est en pleine évolution. Référence à Druillet ou Moebius : « je n’aime pas le fantastique ». Aux impressionnistes : « ils n’ont conçu l’art que dans un sens, celui d’une technique ». Aux surréalistes : « c’était un amalgame entre folie et réalité. Ils ont été jusqu’à faire de la peinture médiumnique ! ».
Décorateur de l’un des chars du carnaval récent, Jean-Louis Ricaud est un sculpteur atypique. Son œuvre suscite la parution d’un livre-objet, aux éditions de la Rose noire.
L’artiste porte une moustache de viking et le cheveu assez clair. Il a 38 ans et deux décennies de pratique plastique. Sculpteur et peintre il n’expose guère dans les lieux consacrés, mais volontiers dans ce qui fut l’un des derniers bars radicaux de Bordeaux, « le Volt ».
Ouvrage original.
Depuis, beaucoup ont pu découvrir son style plutôt gothique, lourdement baroque et d’évidence industriel, durant le dernier carnaval.
Jean-Louis Ricaud y avait décoré le très remarqué char techno. Mis en branle sous la houlette U-Bahn de Saint-Pierre, cette installation donnait une idée de la monumentalité de sa création. Car s’il dépose, dans le magasin suscité, des sculptures de petits sexes féminins qui peuvent servir de presse-papiers, Ricaud se bat le plus souvent en grands formats, avec l’acier qu’il tord et ponce. Pour imiter le bronze il utilise des céramiques savamment repeintes ensuite qui confèrent un aspect imposant et sombre à tous ses objets.
Connu pour son attachement aux activités artistiques atypiques, le magazine « Rose Noire » s’est attaché à ses travaux, et publie « Sculptures ». cet ouvrage original, sur papier bible, réunit moult clichés de l’œuvre, des textes qui la commentent, et un volet biographique. Vendu 135 francs avec une sculpture sur sa couverture, chacun a été tiré à la manière des sérigraphies, pour le rendre unique.
Lors de sa présentation, hier, le public a découvert deux pièces exposées pour la première fois. Elles entremêlent le fer au goût du crépuscule.
L’un est un gisant inspiré de la vie de Guillaume d’Orange, la tête décapitée, le corps lourd de ferraille, avec un alien sur le torse et un crâne incrustés. L’autre est un ange, messager contrarié entre le divin et le terrien, qui s’est écrasé sur le granit, non sans continuer à distiller la métaphore ailée de liberté.
J’étais là avec mon invitation entre les mains. Est-ce que j’allais y aller ? il est des jours comme ça, on se sent un peu fatiguée et l’in se dit que cette invitation est une invitation de trop. Et puis finalement je me suis décidée ; peut-être parce que j’aimais bien ceux qui m’avaient envoyé ce carton !
« Le mardi 24 novembre, de 18 heures à 22 heures, la chapelle du célèbre site gallo-romain de Loupiac accueillera l’œuvre de Jean-Louis Ricaud, « LE VIVANT » sculpture monumentale sortie de l’atelier de l’artiste pour la circonstance et pour une première présentation au public.
Abra et Jean-Jacques Picot, réalisateurs, ont voulu se faire l’écho de l’œuvre de Jean-Louis Ricaud, à travers un film documentaire qui a nécessité 6 mois de travail. L’œuvre étant achevée, on peut en parler, on peut en faire de la littérature, on peut… »
Et bien justement parlons-en !
Je suis arrivée dans ce lieu insolite que je ne connaissais pas. Une jolie et curieuse chapelle désaffectée et détournée de son usage. Pendant de longues années elle a servi de maison d’habitation ce qui lui a valu d’être flanquée de fenêtres à croisées avec volets assortis.
L’atmosphère était étrange, un peu funèbre me semble-t-il ? Un faisceau de lumière trouait la pénombre et éclairait la sculpture posée à terre sur un étroit et long tissu noir, sorte d’invitation pour puissance qu’il me sembla tout à coup être pétrifiée d’émotion !
Je la regardais intensément. Était-ce un Christ en « ressuscitaire », en « revivance », un être venu d’un autre monde ? Qu’importe, c’était l’œuvre de quelqu’un et ce quelqu’un était sûrement quelque part, tout près, au milieu des ombres silencieuse qui étaient dans la pièce.
Je ne le connaissais pas, mais je l’ai tout de suite reconnu. Avec une « gueule pareille » ce ne pouvait être que lui ! Un visage ombrageux, tout en poils noirs : cheveux, sourcils, moustaches. Un regard sombre, incisif, droit dans le vôtre, et bien qu’il ne soit pas très grand, une impression de puissance et en même temps on sentait une retenue, comme une fragilité.
Quand je me suis fait connaître et lui ai dit mon émotion devant son œuvre, il a eu un sourire d’enfant, un sourire en décalage !
Je lui ai demandé si je pouvais le rencontrer un jour pour qu’il me parle de son travail et c’est ce que nous avons fait quelques huit jours plus tard.
C’est ainsi que j’ai appris que le « VIVANT » était la dernière pièce d’une trilogie qui comprenait « le GISANT DE SAINT GUILHEM » mort symbolisant la guerre, la révolution, ensuite « l’ANGE » qui dans son envolée évoque le déchirement de l’homme dans son rapport avec Dieu, enfin le « VIVANT ».
Douze bornes, en cours de réalisation, relieront les 3 éléments entre eux contribuant à parfaire cette œuvre monumentale.
Il a fallu 4 ans à Jean-Louis Ricaud pour façonner la céramique, l’acier, le granit à l’image de ses sculptures hors du commun (le VIVANT mesure 2m50) mais 10 ans de maturation pour leur donner ce qui ressemble assez à une âme. Car il dit… « les artistes sont des monomaniaques. Ils ne font jamais qu’un chose qui revient sempiternellement, qui remonte du tréfonds, qui les occupent entièrement, qu’ils travaillent longuement, ce qui est mon cas. J’ai le temps de voir mûrir mes projets.
La vie, la mort ? il n’y a rien d’original mais c’est une vraie préoccupation, pour tous, même si dans notre société la mort est maintenant complètement occultée… »
Je l’ai interrogé sur le devenir de son œuvre ? … » pour l’instant, tous trois sont dans mon atelier ; ils sont destinés à être exposés dans les endroits que j’aime. C’est pourquoi ils iront bientôt à Paris, au Couvent des Récollets.
Ils vont faire l’objet avec le film qui a été réalisé par Abra et Jean-Jacques Picot, d’une émission sur Arte…J’aimerais qu’un jour ils puissent être exposés à l’Abbaye de la Sauve Majeure. J’aime ce lieu, il leur irait bien ! … mais la vie m’apprit que l’on ne décidait pas des choses. Pour ma part, je mets mon énergie au service de mon œuvre ; elle existe ; elle est là, tangible, présente. On peut la voir, alors elle peut intéresser ! J’essaie toujours d’aller plus loin, de mieux préciser ce que je sens en moi, d’avancer pour que ma sculpture dégage plus de spiritualité que d’esthétisme. Faire ne sorte que chaque fois qu’on est confronté à elle, on reçoive quelque chose…Dans une vie, on a à peu près cinquante ans devant soi. Pour tout apprendre, tout mettre en place, tout préciser, il faut de 20 à 30 ans. Ce qui signifie que l’artiste doit travailler comme un fou. Il n’y a pas beaucoup de place pour le reste…au bout il y aura peut-être une œuvre intéressante, peut-être des gens intéressés, peut-être la renommée ? … »
Échapper au carcan inhérent à l’organisation d’une exposition « classique », s’affranchir des contraintes imposées par les galeries traditionnelles : Jean-Louis Ricaud est homme de conviction. « Face à une création artistique, le public ne doit pas rester passif. Il faut lui offrir la possibilité d’approcher une œuvre, de l’aborder, de la découvrir en toute liberté ». Pour mieux s’en imprégner, la ressentir, l’apprivoiser et se l’approprier.
La démarche défendue par l’artiste depuis de longues années déjà avec une ferveur et un enthousiasme intacts, trouvait mardi soir sa plus parfaite illustration. A Loupiac, la chapelle du site gallo-romain accueillait en effet la première sortie publique du « Vivant », splendide et impressionnante e céramique, en acier et en granit ; le résultat d’un peu plus de six mois de travail qui était présenté par le biais d’un véritable « show » s’articulant autour d’une mise en scène aussi sobre et dépouillée qu’envoûtante.
Nul besoin d’artifice en la matière. « je ne conçois d’art que sacré »ne manque pas de souligner Jean-Louis Ricaud. De fait, en pénétrant dans la petite salle froide et dépouillée où le « Vivant » s’offrait pour la première fois aux regards extérieurs, le visiteur était plongé dans une atmosphère laissant libre court à la contemplation. Sur fond musical diffusé en continu, les variations d’intensité lumineuse multipliaient les lectures possibles de la sculpture dans un subtil jeu d’ombre et de lumière. Les détails se précisaient alors, s’affirmant ou s’estompant pour laisser transparaître toute la force dégagée par ce « Vivant » auquel conduisait un long cheminement en drapé sombre.
GENESE FILMEE
Avec le « Vivant », Jean-Louis Ricaud vient en fait de terminer un « triptyque » sculpté auquel il aura consacré pas moins de quatre années. A terme, ce troisième élément devrait ainsi rejoindre « le Gisant » et « l’Ange » pour un court parcours qui sera balisé par douze bornes ornées de bouches et d’yeux. L’ensemble pourrait alors, si le projet actuellement envisagé obtient toutes les autorisations et les accords nécessaires ; être mis en place dès le printemps prochain dans un des principaux sites religieux de la région.
En attendant si le Vivant a aujourd’hui regagné l’atelier bordelais de l’artiste, il devrait à plus court terme être possible de retrouver le travail de Ricaud grâce au travail d’Abra et Jean-Jacques Picot ont achevé de tourner, ce mardi soir, à Loupiac. Un documentaire intitulé « Genèse du Vivant », dont les premières images étaient d’ailleurs projetées avant-hier à quelques mètres de la salle d’exposition.
Durant de longs mois, les responsables de l’Atelier des Techniques de l’image et du son (basé à Sainte-Croix-Du-Mont) ont suivi le sculpteur dans toutes les étapes de sa création. « A l’exception des tous premiers instants qui n’appartiennent qu’à l’artiste », précise Ricaud. Une réserve à laquelle des cinéastes se sont pliés de bonne grâce. Car il ne s’agit pas ici de trahir l’artiste. Cette « genèse » offre au contraire l’occasion rare de pénétrer au cœur de la création artistique, un voyage passionnant proposé sans commentaire superflu.
Le voile de mystère et de magie qui y est levé n’occulte en rien la force que l’on ressent lorsque l’on se retrouve face à l’œuvre. Car les images s’attachent à souligner avec justesse toute la minutie, l’attention ; l’énergie et le temps consacrés au « Vivant ».
Ricaud se livrait doublement mardi soir, à la chapelle du site gallo-romain de Loupiac. Avec une vraie générosité et toute la force de son talent.
« Je voudrais que la même sculpture plaise autant à un gamin de 17 ans qu’à des cinquantenaires à culture baba… ». Ça, c’est l’un des double effets Ricaud. Jean-Louis Ricaud est basé dans le Sud-Ouest, mais ces sculptures évoquent plus un monde industriel, angoissant, aux personnages tourmentés, que la douce quiétude médoquine des châteaux et du bon vin.
Bientôt quadragénaire, il dit lui-même ne plus être en proie à ses démons internes, et il vrai que depuis trois ans ses sculptures sont plus accessibles, plus ouvertes au regard de l’autre.
Auparavant, le personnage était enfermé dans le métal, prisonnier tout en étant protégé. Il fallait aller « chercher le beau » au-delà des piques et des griffes. Désormais, il n’existe plus de barrières pour accéder au personnage, mais cela résulte plutôt d’une évolution que d’un changement radical.
Ses trois dernières sculptures, d’environ 1 mètre 80, se déploient à l’horizontale : « l’Ange », et « le Gisant » sont en céramique, matière fragile et délicate dans laquelle le métal s’entremêle toujours, le tout étant défini par le choix du socle granit. Le résultat reste étonnant, plus complet, beau, à la limite du « sacré ». Bref, conforme à l’idée de Ricaud concernant l’art comme un « don de dieu ». il ne veut plus choquer, il refuse tout blasphème, Jean-Louis Ricaud s’affirme comme un véritable artiste, non pas comme tous ces récupérateurs de métaux qui « font une sculptures pour faire une sculpture. Il est facile de faire Nono le petit robot et de le présenter comme une œuvre. Ce ne sont pas les trois bouts de ferraille qui font une sculpture, ça c’est Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes, et je ne veux pas être apparenté à ça ».
Bien qu’il ait choisi de faire l’impasse sur la connaissance musicale, Jean-Louis Ricaud conçoit un lien avec l’Indus ou la techno, leur côté répétitif se mariant parfaitement avec son propre visuel. Il existe une esthétique industrielle qui est mise en exergue par des sons électroniques. « Les chants grégoriens, ça me fait chier. J’aime la musique électronique, sans mélodies, l’expérimental, le saccadé ».
En ce qui concerne la dureté de ses sculptures, si elles expriment une certaine souffrance, c’est tout simplement parce que le monde souffre. « Ce n’est pas moi qui ai inventé la guerre, l’industrie, je n’en fais pas l’apologie, tout comme Sade ne faisait pas l’apologie du sadisme selon loi. Celui qui ne veut pas rentrer dans la sculpture c’est parce que cela le remet en cause, en danger. » Chacun doit trouver son niveau de lecture afin de profiter de l’alchimie chez cet artiste à qui le travail ne fait pas peur.
Si vous ne le connaissez pas encore, sachez qu’un livre objet est disponible, et une vidéo devrait voir le jour d’ici peu, tout ça en sus de ses sculptures ; alors renseignez-vous chez Ubahn au 0556 811 778, et si vous avez l’occasion de le rencontrer, évoquez une connotation Renaissance de ses œuvres, il sera ravi !
Tout au long de ce mois de mai, la galerie parisienne l’Arche de Morphée accueillait l’un des monstres français de la sculpture, Jean-Louis Ricaud. Son nom ne vous parle peut-être pas et pourtant, depuis plus de vingt ans, ce peintre et sculpteur donne vie à des œuvres prodigieuses.
Immenses fusions de matières torturées, sombres âmes pétrifiées faites d’acier et de granit et de céramique, les travaux de cet artiste plaisent ou dérangent, mais ne laissent jamais indifférent.
Après s’être illustré dans le sublime livre 1977-1999, J.L. Ricaud, Sculpteur- peintre, paru aux éditions Egone (malheureusement épuisé), c’est aujourd’hui un film qui lui est consacré, La Genèse du Vivant (par Abra et J.J. Picot, les Films du Campagnol). A noter que ce génie (qui est aussi responsable de la sublime déco de la salle bordelaise le Koslow) prépare actuellement un livre sur le chamanisme (à paraître aux éditions Egone).
C’est dans un univers foisonnant et baroque, aux couleurs de terre et métal, que nous convie le sculpteur Jean-Louis Ricaud.
Des pièces monumentales qui nécessitent parfois plus d’un an de travail aux œuvres plus petites à la finesse étonnante, c’est un monde dense et passionné que nous a aimablement présenté ce sculpteur hors-normes…
Comment en êtes-vous venu à la sculpture ?
Ce fut un glissement du dessin au volume, au fil des années- 25 ans déjà, puisque je fête cette année l’anniversaire de ma première exposition…j’avais 17 ans. Je présentais des dessins à l’encre de chine. Même si la forme s’est enrichie les thèmes étaient déjà présents, tout comme l’organisation schématique du travail, la composition. La peinture a suivi logiquement et à travers elle j’ai appris le travail de la matière malléable ; la sculpture est venue ensuite naturellement. En fait, je suis l’un des rares sculpteurs à sculpter comme un peintre, à envisager la sculpture comme une continuité en volume de la peinture. Les gestes sont les mêmes, les préoccupations sont les mêmes, l’esthétique qui en découle est la même…il n’y a aucune frontière entre ses différentes pratiques. Je me rappelle d’un rêve ancien où je pouvais par le simple fait de passer mes mains dans la matière la faire disparaître, ou y créer des volumes. Je rêvais aussi que j’étais en pierre, en pierre très très dure, mais à la surface douce comme du velours. C’est une sensation étrange. Je ne savais pas à l’époque ce qu’était la sculpture.
Vos œuvres mélangent par ailleurs de nombreux matériaux…
Je travaille principalement la céramique, qui est la terre cuite à haute température. C’est un travail de modelage direct. Ensuite interviennent d’autres matériaux, qui viennent complémenter le personnage modelé lors de cette première étape. C’est une mise en situation de ce sujet, presque une mise en page, en volume, au sens où cela permet une lecture plus complète. J’utilise pour cela l’acier, la pierre, le bois, le bronze, …mais aucun de ces matériaux ne reste brut d’aspect : ils sont longuement polis, patinés, travaillés dans leurs textures, leurs couleurs, leur brillance…ainsi un simple bout d’acier rouillé peut devenir très luxueux. C’est une recherche de préciosité qui fait rendre à la matière une identité plus forte, qui lui donne une présence plus évidente : chaque matière se retrouve chargée de l’histoire qu’elle porte. Je suis très inspiré par l’hylozoïsme- une ancienne philosophie qui croit en la vie de la matière. Ma vision inspirée de ce postulat dit que chaque molécule de matière porte l’identité et l’histoire de son ensemble, comme une sorte d’ADN. Dans chaque molécule d’acier, il y a histoire de l’industrie. L’utilisation de la terre rappelle sans cesse la genèse. Ainsi mes choix de matières ne sont pas anodins : je travaille avec ce que chacune d’elle porte intrinsèquement.
Toutes ces matières ont des comportements, des caractéristiques très différentes…comment en êtes-vous venu à en apprendre le maniement-par une école, par la pratique ?
Je n’ai pas fait d’école d’art. mais ceci dit je ne me considère pas comme un autodidacte : plutôt comme quelqu’un qui a appris sur le terrain, avec d’autres artistes, dans des ateliers, un peu dans des livres d’images aussi…j’ai une formation technique, en construction mécanique.
Avec du recul, il s’avère que c’est une excellente école pour l’art, dans la mesure où dans ce domaine chaque pensée doit être concrétisée de manière cohérente. Cet apprentissage très pratique m’a ouvert l’esprit sur la possibilité d’élaborer des procédures de travail à chaque fois différentes…En fait la condition sine qua non de la sculpture c’est qu’il y ait construction : cela paraît évident mais il ne faut pas le perdre de vue. Toute pensée métaphysique qui n’aurait de support palpable, physique, ne peut pas exister en sculpture : il faut sans cesse trouver les bonnes méthodes de travail et évaluer rapidement la faisabilité de celles-ci. C’est une école très pragmatique.
Vous enseignez maintenant à l’Ecole des Arts Appliqués de Bordeaux. Comment y envisagez-vous vos interventions ?
Il y a deux versants à l’enseignement de la sculpture : le premier, qui est celui des arts appliqués, est l’apprentissage des techniques. L’autre par opposition est l’accès à l’art fondamental, qui ouvre un champ de réflexion complètement différent. Depuis que j’enseigne, j’y ai beaucoup réfléchi : la première méthode consisterait à dire, pour schématiser, « j’apprends et quand je saurai faire, je m’exprimerai ». Ce serait plutôt la méthode académique. L’autre façon plus actuelle, c’est de dire que l’expression est le moteur de l’art, et « je développe mon dire et j’apprends conjointement des techniques nécessaires à mon expression ». L’apprentissage idéal oscillerait entre ces deux démarches. Cela permettrait l’élaboration de nouvelles techniques de travail, afin de réduire l’écart qu’il y a entre la pensée et sa réalisation. Chacun ayant sa pensée, chacun devra trouver sa technique, en puisant dans le substrat de l’histoire de l’art…
Votre propre travail est d’ailleurs empreint de références à de nombreux courants artistiques…
Je puise effectivement dans tous les grands courants, mais pour moi ce sont les débuts de la Renaissance qui sont les plus marquants, aux 13ème et 14ème siècles. C’est à cette époque que s’est opéré le mariage le plus délirant entre le Sacré et le Beau, dans des images très chargées. Et surtout à cette époque chaque tableau est un ensemble d’histoires : il y a des histoires dans les histoires, plusieurs niveaux de lecture et cela aussi bien qu’un sens pratique que philosophique. Par exemple une toile nous présente une foule : cette foule a une dynamique, une force, on peut la voir comme un élément à part entière. Elle est organisée en triangle sur un fond doré : à travers ce jeu de mise en forme très subtil, elle prend un sens particulier, elle évoque beaucoup de choses. Puis si on s’approche, dans cet ensemble qu’est la foule, chacun de ses personnages a une dynamique propre : il peut être en colère, interagir avec son voisin, et ces émotions sont à leurs tours porteuses de sens…il me paraît important qu’un tableau parle ainsi de plusieurs choses, qu’il présente tout un registre d’histoires parallèles qui puissent se lire séparément sur une image. Si je devais citer un artiste qui atteint cela à merveille, c’est Pisanello : il faisait des fonds dorés avec des aplats parfaits, il dessinait des personnages aux perspectives bizarres…c’est le seul peintre qui ait une palette argentée, ça me fascine !
Cette époque correspond aux premières remises en question de la foi catholique, ce qui a pu apporter de nouvelles voies à la peinture sacrée…
Il est évident que la peinture évolue dans ce domaine…De toute façon la fonction de l’art est sacrée, mais non pas religieuse. Sacrée parce que même dans un sujet d’apparence profane, il y a forcément une présence cachée d’origine plutôt divine. A l’inverse, quand je dis religieux, je pense à l’organisation sociale d’une croyance : une peinture « religieuse » devient l’instrument de transmission de cette organisation, et donc un objet de pouvoir. C’est une peinture qui porte un message évident, mais qui est vide-alors que le sacré remplit les choses, et de surcroît d’une façon exempte de dogmes. Un jour j’ai entendu un curé dire : « Dieu c’est la non loi ». C’est la plus belle phrase de curé que j’ai jamais entendue.
Sculpteur et peintre depuis plus de vingt ans, le bordelais Jean-Louis Ricaud est apparu ces dernières années comme un acteur incontournable de l’underground artistique hexagonal. Ce n’est que justice tant il est difficile de ne pas succomber à la beauté massive de ses sculptures hybrides, où la chair croise le métal et où le sacré se marie à l’industriel. Alors que se termine prochainement une exposition parisienne, Ricaud s’apprête à pousser une fois pour toutes les portes de la renommée, avec un CD-Rom et un long métrage consacré à son passionnant travail d’alchimiste de la matière. Resterait-il des sorciers hérétiques dans le Sud-Ouest de la France ?
Tu viens de publier une cassette vidéo et un CD-Rom. C’est une façon un peu inhabituelle de présenter ton travail…
Je ne me suis pas posé la question en fait. Dans les deux cas, ce sont des propositions qui m’ont été faites de travailler autour de mes sculptures, et j’ai accepté. Lorsqu’on te propose de faire un long métrage sur ton boulot, tu hésites rarement. Je trouve très intéressante cette idée que l’artiste devienne la matière première d’autres supports et pratiques artistiques.
Sur le CD-Rom, tu te présentes comme sculpteur et peintre. Ce sont deux activités qui te semblent à égalité dans ton travail ?
En fait, la chose importante c’est le trait d’union qui relie les mots sculpteur-peintre, car c’est pour moi exactement la même chose. C’est une continuité permanente dans laquelle la démarche reste totalement semblable. On change juste de médium et encore pas tant que ça, en ce qui me concerne puisque je sculpte déjà avec mes pinceaux. C’est vraiment la même démarche, il n’y a aucune frontière. Par contre je produis beaucoup plus de sculptures que de peintures puisque celles-ci ne représentent environ qu’un cinquième de ma production.
Les références bibliques et le sacré occupent une place importante dans ton travail, comme dans la toile Golgotha par exemple…
Oui, cette peinture est un chemin de croix assez ancien, un polyptyque en quatorze tableaux et l’idée était de pouvoir être à l’intérieur de la peinture. Une fois complètement montée, elle fait une quarantaine de mètres carrés et on se retrouve vraiment dans la peinture, et non plus à l’extérieur comme c’est généralement le cas. C’est un sujet extrêmement riche d’un point de vue symbolique. Je suis très intéressé par le sacré, bien davantage que par le religieux. Je pense que l’artiste a un devoir sacré de parler de l’indicible, de choses qui sont au-delà du racontable.
Ton œuvre est également souvent associée à des climats plutôt industriels. C’est une parenté qui te satisfait ?
Oui, parce que je pense avoir plusieurs tendances dans mon travail, une industrielle ou plutôt post-industrielle, l’autre plutôt renaissance et art sacré, et une autre plus SF. J’essaie de ne pas être exclusif dans ce que je raconte. Il y a toujours de nombreux éléments qui se croisent.
Il y a toujours un aspect narratif dans ton travail. Tu nous racontes quelque chose…
Je reprends la formulation de l’art au sens où le prenait Dante, avec un premier sens narratif et littéral, un sens allégorique, un sens moral et un sens qui amène à une lecture sacrée des choses. Donc forcément, on commence par le sens littéral qui permet d’accéder facilement aux choses avant de démarrer une lecture plus approfondie avec des sens de lecture différents.
Comment as-tu été amené à prendre en charge la décoration du Koslow à Bordeaux ?
C’est encore une fois une question de rencontre. On m’a confié la décoration avec une carte blanche absolue. J’étais ravi parce que c’est une réalisation qui m’a été demandée parce que mon travail correspondait à l’ambiance qu’ils recherchaient pour cette salle. C’est un versant un peu plus gothique de mon œuvre, mais qui est en totale harmonie avec ce que j’ai envie de raconter à partir de ce lieu. Ce type de projet est passionnant, mais extrêmement lourd, cela représente un an de travail, plus la préparation.
Dans tes sculptures, tu mélanges la céramique, l’acier et le granit. Pourquoi cet assemblage ?
Cela part du concept assez simple du contenant et du contenu. L’idée de départ était de faire figurer des hommes dans un univers industriel et l’homme étant matérialisé par un travail en céramique, en argile qui représente la genèse, il était mis en situation dans un contexte d’acier industriel. Tout ceci a un peu évolué au fil de mes années de travail et je suis s arrivé à une certaine complétude acier/céramique. Je travaille d’abord la céramique sans me soucier de la mise en situation et je la termine en la confrontant à d’autres matériaux comme l’acier, le bronze ou le granit. Au départ les différents éléments étaient complètement opposés, alors qu’il est clair qu’il y a maintenant une fusion plus importante. Cela correspond aussi à une évolution mentale, j’ai plus envie de faire fusionner les choses que de les confronter. Mon travail actuel est beaucoup moins violent et fermé que par le passé.
Ton travail reste toujours centré sur les personnages. Considères-tu la figure humaine comme essentielle ?
Oui, c’est incontournable. Un corps humain est capable d’exprimer tous les sentiments inimaginables, et c’est le vecteur idéal pour un travail comme le mien. Ce n’est pas vraiment une figuration académique complète, mais il me semble très important que la figure humaine demeure centrale. L’être humain est d’une complexité terrible, et je pense qu’il est essentiel de retrouver au moins une partie de cette complexité dans la sculpture, tous ces paradoxes qui font que les contraires cohabitent. Je veux rester dans cette ambivalence très riche qui fait que l’homme est homme.
« Idem, voir le sculpteur dessinateur et peintre JL Ricaud, trouble entomologiste arraché à la trilogie de Dante, qui verse des céramiques, bas-reliefs, et fonderies-soudures de carcasses en gésine ses « cercles intérieurs », ses dessins ou peintures d’érotismes d’outre-monde, feignant une noirceur qui se trouve parentes « des rêves éveillés » d’un Ducasse ou d’un Desnos »
« Céramique, Ce we lors de la fête de la poterie et jusqu’au 29 août, le sculpteur bordelais expose dans l’espace contemporain du musée. J.L. Ricaud tourmente les corps et tord le grès, l’acier et le bois pour se réapproprier les grands thèmes. Il sculpte les conflits qui nous obsèdent : la vie contre la mort, l’humain contre le divin…La douleur, la fécondité, l’enfantement paraissent être ses sujets de prédilection.
Son Saint- Sébastien est suspendu par les seuls fers de ses flèches. Sa Sainte Thérèse est lovée autour d’un orgasme onirique. Son « Urne de fécondité » présente une succession de viscères et de petits corps coulant d’un chaudron bouillonnant.
La Grande Enfanteuse est devancée par la multitude de ses rejetons qui courent entre ses jambes. Le tout au dessus d’une mécanique couleur cambouis.
Ce qui nous rattache. L’urne de fécondité représente le thème récurrent de la vie et de la mort, indique JL Ricaud. Ce qui nous rattache tous à la vie : la fécondité. Sainte Thérèse d’Avila incarne la dichotomie entre le terrestre et le divin, entre le discours religieux monolithe et les rêves que lui dictent ses instincts humains. La Grande Enfanteuse est une allégorie. Elle symbolise le mouvement matériel, le mécanisme perpétuel de la vie dont nous sommes les sujets, précise notre homme.
Telles sont trois des plus grosses pièces que ce sculpteur bordelais présente à Sadirac, à l’occasion du Festival, de la céramique. D’autre sont plus facilement transportables. Toutes s’inscrivent dans une même démarche créative. IL s’agit rarement d’un projet sorti de nulle part. D’une idée conduite à son terme d’un seul élan. La réflexion et les images s’élaborent en même temps dans la progression de JL Ricaud.
C’est une construction sensitive. Un maillage. Rien ne vient nex nihilo. Ça fait trente ans que je travaille dans ça, confie l’homme. C’est une construction lente. Un moment dans un mouvement. Je suis très mental.
Biker. JL Ricaud pétri d’argile. La patine. Voire l’émaille au chalumeau. Le feu est son auxiliaire comme ses doigts dans la glaise.
Les outils alignés au mur trahissent autant le sculpteur que le biker qu’il est, créateur de cavales mécaniques que l’on pressent rapides et bruyantes.
Au dehors s’entassent, dans un désordre organisé, des pièces de mécanique malmenées par la corrosion, de souches éventrées, des fers à béton en habits d’automne, des plaques de marbre promises à un gisant.
Bientôt on reconnaitra, enchâssé dans l’œuvre, comme un marchepied pour le regard, tel tuyau, vis, boulon, galet, fil ou chaîne…
On tourne et on vire pour s’apercevoir que l’antre de l’alchimiste resserre sa prise sur nos esprits.
Vulcain ne saurait tarder. »